Avignon, l’art de la mise en scène

En plein mois de juillet et pour trois semaines, le OFF succède au IN. Après le festival institutionnel et le théâtre avant-gardiste et élitiste, sonne l’ouverture du théâtre populaire, ambiance estivale insouciante et bohème garantie. En apparence.

Côté face, touristes et fans de théâtre flânent sous le soleil dans les ruelles d’Avignon et acceptent volontiers de faire la queue : pour retirer les billets, avant d’entrer dans les salles de spectacle, pour prendre un verre, pour se garer… C’est bon enfant et c’est de rigueur. A Avignon, on a le temps et on le prend. Car on vient vivre la culture de manière intense, à chaque spectacle, à la recherche de la perle rare : on accepte ainsi le hasard qui nous a poussé à choisir une pièce au nom ou au thème séduisant sans le filtre des critiques. L’expérience prime, une approche de plus en plus affirmée du tourisme culturel. Le Festival offre ainsi une plongée authentique dans cette incroyable ambiance du spectacle vivant.

Côté pile, à y regarder plus en détail, la tension affleure. Celle des acteurs, des compagnies, des monteurs. Car les compagnies tiennent l’occasion de se faire un nom et de se lancer. Elles paient un droit d’entrée pour figurer au programme. Un enjeu immense… Le Festival fait donc office de tremplin, chacune essayant de rentabiliser ses frais en attirant le maximum de public et en guettant la bonne étoile qui leur permettra peut-être d’être repéré. Une sorte de supermarché du spectacle, un temple de la consommation du théâtre. Une dure réalité des métiers du spectacle vivant que l’on peut observer à loisir dans ce contexte. Le timing est si serré, qu’après chaque pièce, les spectateurs ont à peine le temps d’applaudir. Ils sont immédiatement invités par les comédiens à vider la salle afin qu’elle puisse être réinstallée pour la pièce suivante. Avec près de 1500 spectacles par jour dans 200 salles différentes, la concurrence est rude et éprouvante !

La fatigue nerveuse aussi. Car quand ils ne jouent pas, les comédiens tractent. Dans le dédale de rues, en plein soleil et du matin au soir, la ville devient un spectacle permanent. Une expérience intense, étourdissante d’affiches colorées, de parades enflammées pour attirer le spectateur. La créativité est de mise et tout est permis : mime, chant, déguisements, jusqu’aux cannes à pêche du haut des fenêtres qui distribuent les tracts aux passants… Innover pour se démarquer est l’une des clés du succès et l’espoir d’une salle pleine.

Le rythme de la ville n’est plus le même pendant cette parenthèse culturelle qui en fait toute l’identité ou presque. L’ambiance est euphorique mais la bienséance reste de mise jusqu’au matin sans débordement. L’animation est à son comble : marché et terrasses bondés, ruelles et parkings impraticables, touristes en masse pour le Palais des Papes, ville fermée à la circulation. L’espace public s’adapte et se construit autour des besoins du Festival. C’est aussi une autre clé du succès. Cependant, les investissements pour embellir la rue, pour la rendre plus accueillante et plus pratique gagneraient à se multiplier et à offrir une image harmonieuse et un visage plus design à la ville*. Avignon possède un véritable potentiel pour développer un aménagement urbain qui fasse la part belle à des oeuvres artistiques contemporaines. Elle pourrait profiter de la manne que représente le Festival pour investir en ce sens : bancs, signalétique, fontaines… Et qui à son tour feraient le bonheur des festivaliers et des habitants.

Visiter Avignon en temps de Festival permet également de découvrir des lieux inattendus ouverts et transformés pour l’occasion en salle de spectacle : salles à strapontins pour 15 personnes, jardins privés, églises, appartements… Une hybridation des espaces en lieux d’expérience et de rencontre qui répondent aussi aux nouvelles pratiques du tourisme culturel.

Les spectacles se succèdent pratiquement 24h sur 24… La recherche est effrénée pour tous les passionnés, qui ne quittent plus leur « bible », l’énorme programme du Festival à étudier de très près.

Mais lorsque tout s’arrête brutalement, Avignon retrouve son calme, un peu groggy. Le Festival aura apporté sa frénésie, sa folie, une jubilation culturelle où tous les genres sont à portée de main. Il aura fait vibrer la ville pendant quelques semaines en la mettant au devant de la scène avec des retombées économiques et touristiques majeures. La destination se structure toute l’année autour de cet évènement phare qui en fait un facteur d’attractivité essentiel du territoire. La culture est ici bien au centre des activités touristiques. Chaque année, le Festival se réinvente et offre un accès à la culture assez démocratisé – budget minimum nécessaire tout de même.

Toute cette énergie, cette ambiance unique, cette dure loi du marché, est décrite dans le sympathique roman graphique « Mon festival d’Avignon en cinq actes » de Jerlock, Editions Carrément 2018, un nouvel avignonnais qui donne un beau coup de projecteur sur la ville et sur l’un des plus anciens festivals de France parmi les plus de 1500 qui nous réjouissent chaque année.

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Nos coups de cœur sur 3 jours : « Les filles aux mains jaunes » de Michel Bellier mis en scène par Johanna Boyé et « Cyrano » par la Compagnie Miranda mise en scène de Thierry Surace. A découvrir absolument!

*En décembre 2019, la start-up VOOG, a lancé en Avignon, une solution de signalétique mécanique et sans branchement ni numérique. VOOG est créatrice du « Gouvernail« , support de signalétique entre boussole et carte qui permet de guider les piétons grâce à une manipulation de la carte pour se placer dans le sens de leur destination. Ce moyen pratique, intelligent, fun et original a été implanté à l’angle du cours Jean-Jaurès et de l’avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, devant l’agence de transport Orizo.

© Andrea Salas VOOG
à propos de

Delphine YAGÜE

Consultante en ingénierie culturelle et touristique - Fondatrice de CulturistiQ

Delphine YAGÜE a créé CulturistiQ Laboratoire culturel en 2016 à l’issue de 20 années professionnelles dans la gestion de projets.

Issue d’une double formation en marketing et en histoire des sociétés et religions, elle est également guide-conférencière (GC 2110005P) et formatrice agréée par le CEJI (projet européen Networks Overcoming Antisemitism) pour la lutte contre l’antisémitisme.

Sa vision globale de vos besoins révèle la personnalité de vos projets pour mieux les adapter à vos publics et clients.

En janvier 2021, Delphine Yagüe a été décorée de la Médaille du Tourisme échelon bronze pour ses missions et engagements.