Tout à fait par hasard, lors d’un dîner montpelliérain, j’ai rencontré un vendéen implanté dans la région depuis plusieurs décennies, ancien propriétaire d’un moulin et d’un terrain à Villeneuvette. Villeneuvette… Un nom inconnu malgré une longue histoire affective avec l’Occitanie. Vive les rencontres avec les habitants… !
Un village-manufacture préservé par ses habitants
Le site de l’Office de Tourisme du Clermontais le classe pourtant parmi les incontournables de la région. Mais Villeneuvette n’a pas de site internet touristique propre, au risque de passer facilement à côté. Fait exprès ? Oui ! Et tant mieux ! Cet étonnant village-manufacture, se cache dans les vignes, à l’ouest de Clermont l’Hérault depuis la fin du 17e siècle, au fond d’une magnifique allée bordée d’immenses et majestueux platanes. La « Nouvelle ville » encore connue jusqu’à peu sous le joli nom féminin occitan de « La Fatura » (la fabrique), est aujourd’hui une petite commune du Languedoc où résident environ 70 Villeneuvettois sur une superficie de 3.15 km². Pleine de charme, tout en finesse, petite au caractère bien trempé, elle mérite d’être préservée et sait se faire respecter.
Créée en 1670, elle connaît une admirable impulsion grâce à Colbert en 1674 qui lui donne son titre de « Manufacture royale » et devient un modèle d’industrie du XVIIe siècle. Elle entre dans la cour des grands pour confectionner ces draps du Languedoc destinés à être vendus à l’étranger et participe grandement à l’essor de l’économie du territoire. Implantée en milieu rural, elle regroupe tous les corps de métiers afin de pouvoir y effectuer sur place toutes les étapes d’une fabrication réputée difficile et précise. Les ouvriers qualifiés vivent sur leur lieu de travail avec leurs familles. Tous participent à la fabrication, les enfants effectuant jusqu’à 12h de travail par jour. Le logement des ouvriers est alors assuré dans de petites maisons situées côte à côte près de l’usine. Aujourd’hui parfaitement restaurées, elles respirent le bon voisinage, la plénitude et exposent leur dédale de courettes-ruelles sans barrière ni trottoirs. Le quartier accueille même une petite bibliothèque collaborative disposée sur des étagères installées à même les murs anciens.
A l’époque, quelques commerces et une Chapelle assurent aux ouvriers l’accès aux premières nécessités et leur facilitent la vie. De nombreux bâtiments témoignent de l’activité intense de ce lieu de production : cheminée remarquable en brique, fontaine, vestiges de bâtiments aujourd’hui en restauration le long de la Dourbie – la rivière qui traverse la commune, anciens étendoirs pour le séchage des draps à l’air libre, grandes écuries, maisons bourgeoises… La commune était entourée d’une enceinte aujourd’hui disparue. L’entrée du village s’effectuait – et s’effectue toujours – par un porche magistral sur le fronton duquel est inscrit la devise mobilisatrice « honneur au travail », classé aux monuments historiques.
Au XIXe siècle, en bon père de famille, le nouveau propriétaire des lieux ouvre l’école laïque et fait adhérer ses ouvriers à une première mutuelle. Les fresques et peintures intérieures de la Chapelle viennent appuyer le discours paternaliste de bon ton en représentant le travail comme une valeur chrétienne primordiale. De nouveaux services s’installent pour faciliter la vie du village en autonomie, avec l’arrivée d’un menuisier, un médecin et un apothicaire, un boulanger…
Victime de la concurrence, l’activité de la Manufacture prend fin en 1954. Après avoir figuré comme l’un des fleurons majeurs du textile de la région comptant jusqu’à 800 ouvriers, Villeneuvette devient discrète, mais les vestiges de son trépidant passé industriel sont toujours visibles.
La commune est une municipalité participative. Les habitants sont co-propriétaires des lieux. Plusieurs associations défendent leur magnifique patrimoine. Leurs choix communs en matière de préservation, d’organisation et de valorisation du site sont clairs. Artistes, artisans, antiquaires, amoureux du beau et de la quiétude des lieux, ils sont les fidèles gardiens de l’âme du village et de l’esprit du site qu’ils préservent du « tout tourisme » avec sagesse :
Requalification urbaine classée ZZPAU depuis 1955
- Aujourd’hui petit village paisible à l’écart des grandes gesticulations du monde, les habitants ont fait le choix de ne pas apposer de signalétique touristique afin de ne pas dénaturer le site, pour préserver l’authenticité du village. Seules quelques images d’Epinal exposées à l’entrée de la Mairie en contrebas de la place, laissent planer le mystère et titillent la curiosité. Des visites guidées d’une heure sont organisées par le personnel de la Mairie en saison – en semaine (10h30 et 15h30) et en fin de semaine (15h30). En dehors de ces horaires, l’accueil de la Mairie dispense aimablement quelques informations sur le passé prestigieux du village. Des visites guidées thématiques sont également organisées par des guides conférenciers pendant la saison estivale et des livret jeu et livret patrimoine sont téléchargeables sur le site de l’Office du Tourisme du Clermontais. Plusieurs associations de la région proposent des animations telles qu’un marché aux livres ou des randonnées. Aucun commerce n’a été prévu – ni de linge aux fenêtres, puisque le site des anciens étendoirs sert toujours d’étendoir commun à tous ! Seul un hôtel restaurant « La Source », ainsi qu’une buvette « A l’ombre des platanes » ouverte en saison estivale, sont à la disposition des habitants et des visiteurs de passage pour y déguster les produits du terroir comme le vin, le fromage et les olives. Sur la route, pas de grand cartel pour annoncer la « belle endormie » qui conserve ainsi tous ses charmes malgré les siècles qui passent. Un grand parking extérieur gratuit et l’interdiction de circuler intramuros sont également les garants de la tranquillité du site.
Tourisme rural et sportif
- Avec l’organisation d’un parcours de randonnée d’une heure de 3km proposé au départ du village par la FFR, il est possible de découvrir en autonomie, le patrimoine hydraulique alentour lié aux anciennes activités de la Manufacture : béals, bassin qui surplombe le village construit en 1895 qui stockait 2000m3 d’eau, pont de l’Amour… Le chemin balisé démarre au pied de la cheminée, se poursuit dans les allées de marronniers et platanes et se termine dans les anciens jardins de la Manufacture qui accueillent quelques ânes. D’autres circuits sont réalisables à proximité.
Revalorisation du patrimoine industriel
- Si tout le village a peu à peu fait l’objet de restaurations très réussies et fidèles à l’histoire du lieu depuis 1980, seule l’aile nord de la Manufacture, hébergeant les anciens magasins de laines transformés en ateliers de tissage au 19e siècle, restent en l’état. Un projet privé de réhabilitation de cette friche industrielle a été déposé en 2018 par un opérateur privé, tombé amoureux des lieux. Le parti pris architectural de mise est évidemment le respect de l’agencement d’origine de l’édifice à l’appui des vestiges de la documentation historique. Huit logements et éventuellement quelques ateliers ou locaux pour professions libérales verront le jour. Une ouverture mesurée, en adéquation avec la préservation du site défendue par les habitants. Les toitures provençales de 1800 et les sheds de 1900 seront restitués. « Tous les éléments d’époque seront remis en valeur et les matériaux conservés ou refaits à l’identique » annonce Jean-Pierre Leclerc, le promoteur privé qui travaille étroitement avec les ABF de Montpellier sur le projet. L’opération est onéreuse et le projet a obtenu le régime Monuments Historiques qui permet la défiscalisation à l’achat. La commercialisation est en cours et les travaux débuteront dès que les investisseurs seront trouvés, en espérant une fin de chantier d’ici deux ans au plus tard. Un porche intérieur permettra d’accéder au lieu pour admirer les travaux de restauration.
Un tourisme choisi et maîtrisé
Villeneuvette conserve son intimité, son rythme, sa sérénité, sa vie de village et celle de ses habitants. Elle n’est pas un village musée ni un site touristique aux visites calibrées, mais un site historique qui fait le choix de défendre son identité et sa personnalité. La restauration de son patrimoine architectural et industriel a pour vocation de maintenir le site avant tout comme un lieu de vie. Emerveillés dès l’entrée, on perçoit simultanément cette douceur de vivre authentique et cette injonction sous-jacente qui obligent le passant à baisser la voix et à respecter les lieux et ceux qui y vivent en toute quiétude, loins des bruits du monde et des modèles de valorisation touristique habituels. Alors qu’elle pourrait facilement obtenir le label PCC, Villeneuvette protège son patrimoine et ce qu’il donne à voir en maitrisant l’information, l’accueil et les flux et en refusant le tourisme comme référence et modèle économique. Sans fermer ses portes, elle parie sur un tourisme de qualité, choisi. Son positionnement assumé invite au voyage dans le temps, à la flânerie, à l’imagination. Une occasion de prendre le temps sans parcours défini, ouverts à la rencontre et à l’écoute des habitants et des lieux.